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Yoga, un souffle pour la paix !


Extrait de conférence Christiane Berthelet-Lorelle, 2005

« Parler du yoga au quotidien comme d’un souffle pour la paix m’incline à parler d’un travail qui se soucie du monde et de sa manière de l’habiter, un travail dont la perspective éthique est censée donner à nos actes et à nos relations une certaine qualité d’humanité.  Comment aborder ce thème de la rencontre avec l’autre sans honorer Patanjali qui écrivit le traité des Yoga-Sûtra aux alentours du Vème siècle avant J.-C., et qui mit la relation à autrui aux premières loges de son Ashtânga-yoga, les huit éléments qui en composent la discipline ? »

  • Bienveillance, non-violence (ahimsâ)
  • Vérité (satya)
  • Honnêteté (asteya)
  • Modération (brahmachârya)
  • Désintéressement (aparigraha) ouvrent avec les yamas, la voie d’un art du respect d’autrui.

        

         « Comment ignorer la place si particulière de ces préceptes moraux, qui, loin de faire du yoga une pratique autarcique, font de l’autre la première préoccupation de son travail ? Comment faire se côtoyer l’idée de la non-violence (ahimsâ) avec celle de vérité (satya) sans mettre un couvercle sur nos justes colères et nos indignations les plus légitimes ?

         Eclairant comme un phare le processus de cette discipline, les cinq principes des yama (Y.S. II.30) font du yoga une recherche constante de l’altérité la plus juste. Aux dires de Pantanjali, l’attention à autrui est de l’ordre d’un devoir, la nécessité préalable à l’état de yoga, son signe même.

Convenir de cela, c’est reconnaître à cette discipline un idéal de fraternité, non plus seulement l’unique vecteur de l’ascèse corporelle qui y conduit (âsana-prânâyâma), mais la bienséance nécessaire à des relations courtoises et vraies. Nous sommes là dans le champ spirituel d’une attitude à l’égard du monde.

Mais, comme le disait Shakespeare, « les dieux nous ont donné des défauts pour nous faire hommes… et la violence est partout, insidieuse et perfide ».

Nous la générons, et nous la subissons dans les situations les plus quotidiennes, et à chaque fois, c’est au détriment de la bienveillance, du tact et de la délicatesse envers autrui.

A ce titre (ahimsâ), la non-violence, la première indication morale de cette discipline (yama) incline à une certaine méditation envers notre prochain, quel qu’il soit. Qu’il soit notre enfant, celui dont nous avons toute notre vie durant à prendre soin, qu’il soit notre voisin de palier, celui qui est ici, assis à côté de nous à cette conférence, celui qui attendra avec nous dans une salle d’attente chez n’importe quel médecin, qui voyagera près de nous dans le TGV ou qui s’accrochera au même poteau dans le bus. L’autre est notre voisin, notre prochain ; il est notre responsabilité, le signe de notre aménité (prévenance) ou non.

Et pourtant cet autre est la plupart du temps oublié, annulé, livré à l’indifférence, à la maltraitance ordinaire. Des exemples empruntés au quotidien nous permettent de comprendre l’importance de (ahimsâ), et le travail que cette notion engendre, son éternelle actualité.

…/…

Les situations sont nombreuses et sans doute en avez-vous vécu d’analogues : irrespect, absence de courtoisie, impolitesse, égoïsme, grossièreté, dans chacune d’entre elles, l’autre n’existe pas. Cet état d’esprit est partagé par beaucoup … dans toutes ces situations l’autre est oublié, quantité négligeable, présence invisible. La personne qui agit ainsi ne peut imaginer qu’un autre puisse pâtir de ses actes si, pour elle, celui-ci n’existe pas. On pourrait alors penser qu’il ne s’agit que de pure inattention, mais pour être parvenu ainsi à exclure autrui du champ de l’existence comme dans ces exemples, ne faut-il pas en avoir conçu un certain mépris, et avoir porté au rang des actes agressifs, la subtile indifférence avec laquelle il est annulé ? Faire que l’autre n’existe pas semble en fait une agression décidée, sinon, à peine le dommage serait-il accompli que la personne s’en excuserait. Mais en général, aucun pardon, aucune parole. Saturée d’elle-même, la personne ne répond pas. Le silence en prolonge l’arrogance. L’autre n’est digne d’aucune considération. L’égocentrisme est roi.

La perspective morale de Patanjali, la prévenance éthique de l’état de yoga, loin de faire de sa pratique un rapport autistique au monde, invite à l’égard. (ahimsâ) cette première notion civique, est le respect de la différence, le respect du confort d’autrui, le respect de son existence tout simplement, car autrui existe à soi-même – faut-il encore le dire ? – pour ne pas se croire seul au monde autorisé à jouir, tandis que les autres pâtissent de notre égocentrisme infantile … ainsi au regard des Yoga-Sûtra, la notion d’une règle de non-violence tente de contrarier les méfaits de l’égoïsme. (ahimsâ), c’est l’énoncé de la morale kantienne que nous pourrions généraliser ainsi : « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasse ». Ce premier précepte de l’aphorisme II. 29, inaugure donc tout l’état d’esprit de l’Ashtânga-yoga. Le processus du yoga débouche, en son principe sur une altérité vivante. La notion d’autrui préside à la fois à l’action du yogin, tout en étant la conséquence directe du travail qu’il fait sur lui-même. En ce sens, l’attitude qui le relie à son prochain témoigne de la qualité effective de son ascèse.

Sommes-nous donc capables de mettre notre pratique sous l’égide des cinq lois morales du yoga pour vivre dans la paix avec notre prochain ? Sommes-nous capables de considérer autrui comme un égal, ou comme un frère, de nous identifier à lui, de lui vouloir du bien et, comme pour nous-même, de lui éviter du mal ?

Ainsi commence l’Ashtânga-yoga, avec cette infinie révérence. L’acte du yoga est au cœur de ce qui relie autant que de ce qui discerne ; et sans doute pouvons-nous dire que c’est parce qu’il discerne qu’il relie… partout où cette attention à autrui fait la grâce d’une relation, le Yoga signe sa présence et sa loi.

…/…

Elire les préceptes moraux du yoga en tant qu’objet de désir, et en faire l’objet de sa méditation, c’est donc faire de la clairvoyance et de la générosité le but de son ascèse. C’est élever cette pratique au rang d’une humanisation. Ne dit-on pas de quelqu’un de poli, de prévenant et d’attentif qu’il est « bien élevé » ? Cette élévation est la marque d’une distinction.

…/…

Les préceptes moraux des yamas signent donc la charte d’une utopie très certainement, mais ils tracent la voie d’un idéal d’humanité, la portée d’une éthique, la sagesse d’un désir. Car faut-il encore porter en soi ce désir, intrépide et ardent, pour lutter contre la sauvagerie, cesser de se donner en pâture à la violence d’autrui, et ne pas céder sur l’inacceptable.

…/…

Certains au cœur de leur laïcité la plus engagée, nous aident à comprendre ce qu’est un être spirituel, celui dont je dirais aujourd’hui que l’intelligence lucide, légère, fine et drôle, nous permet à la fois de rire de nous, et de nous battre contre le pire.

Cette spiritualité dégagée du religieux, œuvre au jour le jour chez celui qui accepte de penser, de se remettre en cause, de faire de son voisin son égal, si ce n’est son supérieur, capable de tendresse et d’admiration ; c’est cette humanité-là qui porte ses fruits. Politesse, courtoisie et gratitude, en sont les signes, ce au nom de quoi le yogin se met au travail pour être, comme le disait Pascal, « éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre ».

 Alors, ce retour à soi, qui dans l’ascèse du yoga se fait dans le corps, s’opère sans violence. On y apprend à s’observer, à prendre acte et connaissance de ce qu’il convient de méditer, et peu à peu à parvenir, sans se défendre, à ce lâcher-prise qui mène aux évidences. Vient alors le temps du changement (parinâma). Le cœur se met à s’ouvrir. Plus rien ne lui fait obstacle, ni rejet, ni peur de l’autre, ni cupidité, ni orgueil ou revanches perverses. Le cœur est ouvert, et là, quelque chose se met à commencer… cette présence d’esprit est d’abord un courage, un humour, une élégance, puis une désidentification aux images de la puissance. De ce fait elle est une réponse au malaise de la civilisation…

         A ces conditions, et uniquement à ces conditions, le yoga peut devenir « un souffle pour la paix ». 

Christiane Berthelet Lorelle vit à Paris où elle exerce son métier de psychanalyste. Psychologue clinicienne et psychomotricienne de formation initiale, elle a pendant longtemps utilisé le yoga comme médiation thérapeutique auprès d'adolescents et d'adultes.

Pour aller plus loin, 


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